ÇA S’EN VA ET ÇA REVIENT – Pour la deuxième fois, Têtu tente de se relever d’une liquidation judiciaire. Le magazine est relancé par un collectif d’entrepreneurs, qui a levé 700 000 euros pour une renaissance qu’ils espèrent « pérenne ». Mais pour combien de temps ?
Têtu est le « Premier média sur l’information LGBT ». Créé en 1995 avec le soutien financier de Pierre Bergé, le magazine existe d’abord en version papier.
Le début des problèmes
En juillet 2007, le magazine subit une crise interne avec le licenciement de plusieurs membres de la rédaction : « Licenciements, tentative de suicide : Têtu en pleine crise » dans Rue89, ou « Crise à la rédaction du journal Têtu » dans Le Monde. Le nouveau rédacteur, nommé par Pierre Bergé, arrive à faire progresser les ventes d’un petit pourcent et demi (1,64%) en 2011 : c’est la première année positive depuis 2007…
Mais en octobre 2012, en homme d’affaire aguerri, et se rendant sans doute compte que le magazine n’irait plus bien loin, Pierre Bergé vend Têtu après une perte de 2,3 millions d’euros, pratiquement le double de l’année. Cette décision montre à quel point Pierre Bergé portait ce magazine à bout de bras – il a épongé des pertes de plusieurs dizaines de millions d’euros –, le magazine étant déficitaire depuis sa création.
Jean-Jacques Augier, proche de François Hollande, reprend alors le titre pour 1 euro symbolique. Un plan social est alors annoncé, le site web Têtu.com est liquidé et Têtue.com (seul site français à destination des lesbiennes) disparaît. Les pertes du site web de Têtu sont estimées à 400 000 euros en 2012.
Les liquidations judiciaires
Depuis le rachat par Jean-Jacques Augier, le magazine a perdu 2 millions d’euros en 2013 et 1,1 million en 2014, pour un chiffre d’affaires de 2,8 millions. Pour 2015, la perte est d’environ 500 000 euros.
Le 1er juin 2015, Têtu est placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris. Aucun repreneur ne s’étant présenté, le magazine est donc placé en liquidation judiciaire le 23 juillet 2015. Vendu 5 euros, le magazine a vu sa diffusion reculer de 12,5% depuis 2010, à 28 275 exemplaires par mois.
Fin 2015, la société Idyls Media rachète les actifs de Têtu, relance le site web et tente un retour en kiosque du magazine début 2017. En vain : le dernier numéro paraît en novembre 2017, en version numérique uniquement.
Le 22 février 2018, le tribunal de commerce de Paris prononce la liquidation judiciaire de Têtu : la société Idyls Media a été reconnue en cessation de paiement et placée en procédure de liquidation judiciaire. Selon le jugement, l’entreprise avait accumulé plus de 230 000 € de dettes pour un peu plus de 50 000 € d’actif. Le tribunal a conclu qu’un redressement ne pouvait être envisagé, en raison d’un « manque de clientèle » et d’un « litige avec des fournisseurs ».
Une 3ème relance ?
Le 22 mai dernier, un collectif d’entrepreneurs lève 700 000 euros pour une renaissance qu’ils espèrent « pérenne ». Parmi eux, Marie Ekeland, l’éphémère présidente du Conseil national du numérique, Cyril Chapuy, directeur général adjoint monde de L’Oréal Luxe ou encore le journaliste Marc-Olivier Fogiel.
L’ambition affichée est la relance du site web et le lancement d’un magazine trimestriel, « plus ambitieux, plus élégant, avec des formats de lecture plus longs ». L’objectif ? « Faire en sorte que Têtu, compte tenu de son histoire depuis plus de vingt ans, devienne le média de référence de la communauté LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres] en France », affirme Albin Serviant.
Les repreneurs ont l’air confiants et optimistes… mais :
- Comment un média gagne-t-il de l’argent ? Grâce aux publicités dans son journal ou sur son site.
- Comment un média est-il rémunéré pour les publicités qu’il vend ? En fonction du nombre de magazine vendus ou de visiteurs sur son site.
- Que doit-on conclure d’un média qui n’a jamais été rentable, depuis sa création ? Qu’il n’a pas de lecteur.
Alors combien de temps va tenir le magazine Têtu et son site web ? L’avenir nous le dira.
Mais surtout : quand les divers repreneurs de Têtu comprendront-ils qu’il n’y a pas de lectorat pour un journal communautaire ?